Allez voir le nouveau film de Pixar « ViceVersa » c’est l’assurance de passer un moment agréable et instructif… A deux bémols près. La surprise a disparu et le dégoût est vert.
La surprise a disparu!
Ekman a identifié six émotions de base qui sont universelles et qu’on peut identifier par des mimiques et des signes corporels et depuis peu par une signature chimique dans le cerveau. Les six émotions sont la tristesse, la joie (ou le plaisir), la peur, la colère, la surprise et le dégoût. Dans le film la surprise a disparu. C’est bien dommage car la surprise est une émotion utile et fréquente dans les jeunes années. La surprise est une émotion particulière toutefois. Bien qu’on parle de bonne ou mauvaise surprise dans la vie courante, la surprise est neutre, elle n’est ni positive, ni négative. La surprise est une émotion très courte. Elle est courte car liée à l’imprévu. L’émotion suivante va colorer la surprise, si on peut dire. La surprise peut être suivie de la joie, de la tristesse, de la colère, de la peur ou du dégoût….voire le mépris, dernière émotion de base recensée. Les concepteurs ont écarté la surprise car elle leur semblait trop proche de la peur. C’est discutable.
Si la surprise a disparu, ma surprise a été grande de voir que les émotions avaient été colorées. La joie est jaune-dorée (avec une perruque bleue toutefois), la tristesse est bleue, la colère est rouge, la peur est violette. Pourtant on parle de peurs bleues ou d’être vert de peur. Enfin le dégoût est vert. Les émotions ont-elles une couleur ?
Le dégoût est-il vert ?
C’est difficile à concevoir. D’abord le vert est la seconde couleur préférée des Européens. Il est difficile d’imaginer que les gens aiment le dégoût…Toutefois originellement le vert est une couleur répandue dans le monde végétal mais chimiquement instable. Pour les teinturiers, le vert était soit facile à obtenir et déteignant tout aussi facilement, soit stable mais dangereux (les Allemands parlaient de Giftgrün, vert poison). Le vert est instable chimiquement et symboliquement, nous allons voir en quoi.
La double symbolique du vert.
A cause de son instabilité chimique, le vert représente ce qui bouge, change et par dérivation le destin , la chance, le jeu. Les tapis de jeu sont verts depuis que la Sérénissime Venise en décida ainsi. C’est sans doute son instabilité qui l’interdit sur scène dans les théatres, bien qu’on dise que Molière soit mort en vert et certains comédiens morts empoisonnés par leur habit vert-de-gris. Le vert est aussi la couleur de l’argent, en tout depuis la mise en place de l’étalon dollar que nous connaissons tous sous le nom de billet vert. Mais les numéros verts sont gratuits!
Dans la religion le vert est la couleur de l’Islam. Le Paradis des croyants est vert, c’est une oasis pleine d’espoir, ce qui semble tomber sous le sens pour des personnes vivant dans des déserts. Mais le vert est aussi la couleur de l’Irlande et des Celtes. C’est aussi la couleur des dimanches ordinaires dans la liturgie catholique romaine et dans le drapeau irlandais si l’orange est protestant, le vert est catholique.
Le vert est associé à la nature, un peu abusivement. En effet la nature n’est pas verte, seul une partie du monde végétal est vert par la chlorophylle, mais pas la nature dans son entièreté. En fait le vert devient la couleur de la nature avec la montée du mouvement écologique et des partis…verts. Le vert est souvent la couleur de l’équilibre, elle rassure, apaise, fait baisser la pression sanguine et inspire confiance. Au 19ème siècle Goethe en fait la couleur du calme et de la chambre à coucher (qu’on se souvienne du film de François Truffaut, la Chambre Verte). Pour cette raison elle est choisit par les pharmacies avec leur croix verte. En signalisation c’est aussi la couleur de la permission, on peut passer.
Le vert est la couleur de la jeunesse, de la crédulité, Robert Merle parle d' »en nos vertes années »…pourtant les académiciens portent l’habit vert et ne sont plus tout jeunes.
Alors vert le dégoût ?
Nous voyons qu’il est très difficile d’associer une couleur à une seule symbolique. La vie et les émotions sont sans doute arc-en-ciel. D’ailleurs dans le film la joie porte une jolie perruque bleue par ailleurs couleur de la tristesse. Au fait bleu couleur triste ? C’est pourtant la couleur préférée des Européens. A la limite on peut se demander si colorer nos émotions n’est pas contre-productif à double titre. Individuellement, la connotation va engendrer des croyances peu aidantes, par exemple associer vert et dégoût n’encourage pas à manger des légumes. Collectivement, l’association couleur et émotion peut créer ou renforcer des barrières entre les gens, les cultures. Associer le vert au dégoût, qu’en pensent les personnes pour qui c’est la couleur de leur religion?
Si le co-développement et la coopération sont globalement utiles, même pour marier les couleurs et les utiliser à bon escient, j’aurais personnellement évité cette association entre couleurs et émotions. Plutôt surpris, j’ai eu la joie d’aller relire des auteurs comme Michel Pastoureau (Le vert, histoire d’une couleur et le bleu, histoire d’une couleur). Pour autant, cette association ne m’a ni rendu triste, ni en colère, ni vert de rage !
Merci Philippe pour ces 2 bémols, je me suis régalée à lire ton article.
Et le noir…
Que dire de la couleur “noir“?.
Le peintre Pierre Soulages en est le parfait traducteur quand il parle de “noir-lumière“ ou de “outrenoir“.
Ces oeuvres font naitre des émotions, sont-elles colorées en bleu, rouge, jaune ou vert?
J’ose dire peu importe, le principal est d’avoir des émotions et surtout apprendre à les écouter.